Bolo Zenden : « La popularité de l’OM a dépassé tout ce que je pouvais imaginer »
Boudewijn Zenden, alias « Bolo », est une figure du football international. Elu « Talent hollandais de l’année » en 97, il a joué au FC Barcelone, Chelsea ou encore à Liverpool. Pour le Travail de l’OMbre, il revient sur ses deux années passées à Marseille, sur l’ensemble de sa carrière et sur le modèle de formation sauce hollandaise. Entretien au goût d’oranje.
Bolo, que deviens-tu ?
Tout va bien pour moi. Comme tu le sais, je suis toujours dans le monde du football car je suis entraineur au PSV Eindhoven. Dernièrement, on a eu beaucoup de problèmes avec la Covid-19. Sur 50 joueurs sous contrat, il y avait 21 infectés. Malgré cela, on a pu jouer tous les matchs tout en restant compétitif puisqu’on est actuellement 3ème de l’Eredivisie (NDLR : entretien réalisé le 01 décembre). Pourtant, ce n’est pas simple de changer l’équipe et les onze titulaires toutes les semaines.
Peux-tu nous parler de ton rôle au sein du PSV Eindhoven ?
Depuis 6 ans maintenant je suis l’entraineur spécifique des attaquants. Avec eux, je travaille la finition devant le but, après les matchs on effectue un débriefing à la vidéo pour savoir ce qui s’est bien passé ou ce qu’on doit améliorer dans leur jeu. C’est intéressant car au PSV il y a beaucoup de jeunes et leur marge de progression est importante. Mais mon rôle dans le staff de Roger Schmidt ne se limite pas seulement à celui de préparateur pour les joueurs offensifs. Je suis un assistant à part entière.
Devenir entraineur numéro 1 c’est ton objectif à court terme ?
L’an dernier, quand l’entraineur Mark Van Bommel s’est fait licencier, j’ai pris en charge l’équipe à 100% avec Ernest Faber. J’ai donc vu de très près ce que signifie « être entraineur ». Actuellement j’ai le diplôme « UEFA A », c’est-à-dire que je peux être assistant mais je n’ai pas encore le droit d’être coach numéro 1. Je dois passer l’« UEFA pro » mais dans ma tête je ne me vois pas encore entraineur. Être coach c’est un métier d’expérience, il faut voir les choses, observer et il faut vivre ce métier à 100%. Donc je prends mon temps.
Avant d’être dans le staff du PSV tu étais assistant de Rafael Benitez à Chelsea entre 2012 et 2013. Que retiens-tu de cette expérience ?
C’était très enrichissant car c’était ma première étape d’entraineur et j’ai pu voir comment ça se passe derrière, en coulisses. Lorsque tu es joueur, tu n’as pas conscience de toute l’organisation qu’il y a derrière l’équipe. Ça ne se résume pas à mettre 11 titulaires, il y a beaucoup plus que ça. Avec Chelsea, je suis allé au Japon pour disputer la Coupe du monde des clubs (NDLR : finale perdue face aux Corinthians), j’ai gagné l’Europa League face au Benfica Lisbonne, j’ai fait une demi-finale de FA Cup et j’ai terminé troisième de Premier League. J’ai également pu mesurer la pression que peut endurer un coach et tout ça m’a réconforté dans l’idée que je voulais faire ce métier. C’est la raison pour laquelle je suis retourné au Pays-Bas : pour passer mes diplômes d’entraineur. J’ai de la chance de travailler au PSV car c’est un club qui fait confiance à ses anciens joueurs.
« Djibril Cissé m’a dit : Bolo il faut que tu viennes jouer à l’OM »
Avant de commencer une carrière d’entraineur, tu as été un joueur de niveau international avec 55 sélections avec les Pays-Bas. Tu es notamment passé par l’OM. Raconte-nous les coulisses de ce transfert…
Je connaissais déjà Djibril Cissé puisqu’on avait joué ensemble à Liverpool de 2005 à 2006. Après son départ à Marseille en 2006 on était resté en contact et il m’a dit « Bolo, franchement, il faut que tu viennes jouer à l’OM ! ». Donc c’est lui qui m’a chauffé pour venir. Après, je ne savais pas trop à quoi m’attendre. Je savais que Marseille était une grande équipe mais franchement quand je suis arrivé en France je ne pouvais pas imaginer avoir une telle expérience au niveau des supporteurs.
C’est-à-dire ?
Eh bien ils sont toujours là ! Et ça devient chaud quand les choses ne vont pas bien car ils viennent t’expliquer directement ce qui ne va pas. Mais quand ça va bien, c’est le feu ! J’ai d’excellents souvenirs. J’ai connu une très bonne époque malgré des débuts compliqués lors de ma première saison. Eric Gerets est arrivé au bout de quelques semaines et on a fini troisième du championnat. Pour ma deuxième saison (2008-2009), on a lutté pour le titre jusqu’à la fin mais Bordeaux a conclu le championnat avec 11 victoires d’affilées. C’était dur à gérer car on loupe le titre de deux points. Au-delà de cette déception, j’ai toujours été bien accueilli par les supporteurs, je n’ai que des bons souvenirs.
Après avoir joué au Camp Nou ou encore à Anfield, j’ai l’impression que tu restes très marqué par le Vélodrome.
Oui quand même. C’était particulier car il y a les deux virages qui chantent, qui se répondent et puis tu as des mecs dans les tribunes avec des microphones connectés sur des haut-parleurs. Donc quand ça ne va pas sur le terrain, ils tournent les haut-parleurs vers la pelouse pour que les joueurs entendent mieux ce que les supporteurs chantent. L’ambiance y est très spéciale car dans les tribunes il y a une influence de la rue et du rap. Des rappeurs comme Soprano sont très proches de l’OM, ça se sent et ça se voit. C’était une belle expérience, c’était bien, c’était spécial. Mais j’en reviens aux supporteurs : ils m’ont impressionné car même lorsqu’on jouait à l’extérieur j’avais l’impression que le stade était derrière nous. J’ai le souvenir d’un déplacement à Metz où tout le stade était pour l’OM et lorsque les joueurs messins sont rentrés sur la pelouse ils se sont fait huer. Je me suis dit « Mais attends. On est quand même à l’extérieur là ! » (rires). Même à la sortie de l’aéroport de Bordeaux, il y avait 200 supporteurs pour nous accueillir. À titre de comparaison, lorsque tu prends le bus avec Liverpool pour aller à Londres, les supporteurs ne sont pas là pour t’accueillir. La popularité de l’OM a dépassé tout ce que je pouvais imaginer.
« Les supporteurs m’ont impressionné : même lorsqu’on jouait à l’extérieur j’avais l’impression que le stade était derrière nous. »
Revenons-en à ton arrivée. Lorsque tu arrives de Liverpool en 2007, tu quittes une institution qui vient de faire une finale de Ligue des champions (perdue face au Milan AC) pour rejoindre l’OM qui peine à se qualifier de manière régulière en C1. Quelles ont été tes premières impressions en arrivant ?
D’un côté, le club connaissait des difficultés pour se qualifier en C1. Mais de l’autre côté, c’est quand même un grand club avec une belle histoire et qui lutte chaque année pour gagner des titres. C’est une ambition qui me correspond car je ne souhaite pas m’engager dans une équipe qui n’a pas les moyens de jouer un rôle dans son championnat. Je n’ai jamais vécu cela hormis à Sunderland (NDLR : 2009 à 2011) où tout allait bien tant que nous n’étions pas dans la zone de relégation. En tant que joueur, je voulais lutter pour le titre ou me qualifier pour une compétition européenne ! À Marseille, c’était la volonté du club.
Quand Didier Deschamps arrive en 2009, il souhaite s’appuyer sur des joueurs expérimentés et qui connaissent le très haut niveau. De ton côté, tu es en fin de contrat. Est-ce qu’il y a eu des échanges ente vous deux pour que ton aventure à Marseille se prolonge ?
Non. Il n’y a eu aucun échange avec le coach. Lorsque Didier Deschamps arrive, le club me communique qu’il ne compte pas sur moi. Dans ma tête, j’ai accepté cette décision et je me suis mis à la recherche d’un nouveau club. Quelques jours avant que je signe à Sunderland, les dirigeants marseillais m’ont fait comprendre qu’il y avait peut-être une possibilité pour que je reste. Pour moi ce n’était pas clair et c’était étrange d’entendre deux sons de cloches différents en si peu de temps. Je n’ai pas eu l’impression qu’ils me désiraient vraiment donc j’ai préféré tourner la page.
Tu as eu l’occasion de jouer avec Samir Nasri, Hatem Ben Arfa, Mamadou Niang ou encore Matthieu Valbuena… Lequel t’a le plus impressionné ?
Ils jouaient à des postes différents donc c’est difficile à dire. Niang était notre buteur et Nasri avait beaucoup de qualités mais c’était surtout un passeur. Valbuena par contre je n’aurais jamais cru qu’il allait pouvoir évoluer en Équipe de France et qu’il allait devenir aussi important parce qu’il était très petit et qu’il tombait beaucoup. À cette époque, il avait besoin de s’aguerrir et de gagner en maturité. Mais on n’avait pas que des joueurs techniques dans notre équipe. Par exemple, Lorik Cana apportait sa mentalité de leader. Il y avait aussi Steve Mandanda qui était déjà très régulier. Aujourd’hui, c’est une légende et je suis fan du capitaine de l’OM.
« A 22 ans, j’avais le choix entre Barcelone et le Milan AC »
En 1998, à seulement 22 ans, tu quittes les Pays-Bas pour rejoindre l’Espagne et le FC Barcelone de Rivaldo, Figo ou encore Guardiola. Qu’est-ce qui se passe dans ta tête à ce moment-là ?
C’est un immense plaisir. À l’époque, il me restait seulement un an de contrat avec le PSV Eindhoven et j’avais des contacts avec le Barça et le Milan AC. J’ai réfléchi à la manière dont jouaient les deux équipes et je me suis dit que le FC Barcelone me correspondait plus. Dans les discussions, les dirigeants du club catalan m’ont proposé d’attendre un an afin de venir libre mais j’ai refusé car j’étais au PSV depuis l’âge de 13 ans et je voulais que mon club formateur reçoive une indemnité de transfert.
Que ce soit à Barcelone ou avec la sélection des Pays-Bas, tu as joué dans des équipes possédant une identité de jeu assez forte. Qu’est-ce qui t’a plu dans ces deux écoles ?
Ce qui me plait avant tout c’est qu’on parle ici d’équipes fortes et qui possèdent de « meilleurs joueurs ». Ça veut dire que tu as toujours la volonté de t’imposer face à ton adversaire. Au FC Barcelone ou avec les Oranje, on n’attendait jamais en défense pour contre attaquer. On prenait en charge le jeu avec l’ambition d’attaquer. C’est ça que j’aime.
On présente souvent les centres de formations hollandais comme des références en Europe. Peux-tu nous dire ce que les jeunes joueurs y apprennent ?
C’est difficile à dire surtout qu’en France vous avez également de bons centres, notamment Clairefontaine qui sort des joueurs de référence. Il faut toujours regarder autour de soi car même l’Allemagne produit d’excellentes choses. Ce qu’il y a de différent aux Pays-Bas c’est qu’on a un championnat avec une moyenne d’âge très basse. On fait confiance aux jeunes joueurs et ils peuvent s’exprimer pour mieux progresser. Imagine-toi : tu as 18 ou 19 ans et tu joues chaque match d’Eredivisie ! Forcément, tu apprends plus de choses que dans des endroits où cette possibilité n’existe qu’à 22 ou 23 ans.
« Aux Pays-Bas, dans les centres de formation, on ne fait pas de sélections liées aux potentiels athlétiques »
Mais en ce qui concerne le jeu, il n’y a pas des petites subtilités dans la formation héritée de Johan Cruyff ?
Il y a sûrement quelque chose oui. Nous, on essaye toujours de jouer vers l’avant, de jouer l’attaque, de marquer plus de buts que l’adversaire, de former les joueurs de manière technique mais aussi tactique et nous ne faisons pas de sélections liées aux potentiels athlétiques des jeunes. Ça veut dire que parfois des joueurs paraissent faibles mais pourtant ils reconnaissent très bien le jeu car 50% du football se pratique dans la tête. Si à la base tu prends les bonnes décisions, tu peux jouer contre des joueurs plus forts physiquement car tu es assez intelligent et malin pour t’en sortir.
Pour faire évoluer techniquement un joueur on imagine qu’il suffit d’enchainer les exercices mais comment on fait progresser le QI foot et le cerveau d’un joueur ?
Tu peux le travailler sur des couleurs ou des numéros. Prenons l’exemple d’un exercice avec ballon : il y a trois cages de couleurs différentes et à chaque signal les joueurs doivent frapper dans la couleur annoncée. Aussi, on peut imaginer l’exercice différemment en changeant le principe des couleurs : j’annonce orange et les joueurs doivent tirer dans les buts verts. C’est un exercice très intéressant pour faire travailler les décisions.
Depuis ton départ de Marseille, les seuls Hollandais qui ont rejoint l’OM sont Rekik et Strootman. Penses-tu que le club, ou la L1 de manière générale, devraient se tourner de plus en plus vers le marché des Pays-Bas ?
À la base, je pense que la France et les Pays-Bas souffrent d’une problématique commune : celle de la médiatisation de nos championnats respectifs. On voit très peu d’image de la L1 et je sais que les français voient très peu de matchs d’Eredivisie. Il y a aussi la barrière de la langue française que peu de gens maitrisent ici. C’est donc un peu plus compliqué de rejoindre la France que de partir en Allemagne ou en Angleterre car nos jeunes apprennent ces deux langues à l’école.
Avec du recul, comment peux-tu expliquer que les Pays-Bas n’aient rien gagné avec l’immense génération dont tu as fait partie ?
Ce n’est jamais une évidence de gagner des titres. On est un petit pays avec 16 millions d’habitants et peut-être 3,5 millions de gens qui jouent au foot alors si tu compares ça avec le Brésil, l’Allemagne ou la France c’est pas pareil. Enfin, pour gagner quelque chose, il faut quand même avoir un peu de chance. Tu vas me dire « la chance c’est la qualité » et je suis d’accord. Mais sans un petit peu de chance, personne ne gagne quelque chose : en 1974, en 1978, en 2010 ça se joue à très peu pour les Pays-Bas.
N’y a-t-il pas aussi une limite mentale? Parce qu’en 1998 et en 2000, les Pays-Bas ont un effectif extraordinaire et ils se font éliminer de la Coupe du monde et de l’Euro aux tirs aux buts…
Non, il y a autre chose. Nous, on n’a jamais renoncé à nos principes de jeu basés sur l’attaque et l’esthétique alors qu’on aurait dû être beaucoup plus pragmatique en balançant des ballons en tribune par exemple. On n’a pas l’habitude de faire cela et on est tenté de trouver un coéquipier. Cette naïveté nous a couté cher.
Revenir à l’OM ça peut t’intéresser ?
Ben bien sûr !
Dans quel rôle ?
Mais je m’en fou (rire) ! Même en tant que touriste je veux revenir ! Depuis mon départ, je n’ai pas eu le temps de venir voir le nouveau Vélodrome et ses supporteurs exceptionnels ! D’ailleurs, je vais bientôt amener mes deux enfants et ils vont kiffer.
« Le travail de l’ombre », ça signifie quoi pour toi ?
Un travail très important.
Nicolas Cuoco & LTDLO